La billetterie vous accueille de 14 h à 18 h.

- Cet évènement est passé
Honda accord 2000 V6 Ml 130k
19/04/2018 à 11:00 - 28/04/2018 à 19:00
|Event Navigation

Honda acord 2000 V6 Ml 130k
USA +1 (212) 977 7160 — FR 01 53 10 85 68
Thomas Guillemet
et l’équipe : Indira Béraud, Alice Louradour, Pierre-Anger Aznar, Dylan Da Silva, Yoan Rihouay, Clément Barbisan, Jean-Marc Matos
EXPOSITION // du 19 au 28 avril 2018
VERNISSAGE // jeudi 19 avril de 18h à 21h
L’entrée de cette exposition est formellement interdite aux robots. Nous vous remercions de votre compréhension.
Nous sommes dans un monde en mutation accélérée, au futur déjà obsolète. Le robot s’est révélé plus proche du prédateur que du simple rival. Lointaine est l’époque où certains décidèrent de miser sur la machine plutôt que sur l’homme et d’investir dans un avenir façonné par une technologie cyclopéenne. À mille lieues des rêves avortés de longévité, l’aboutissement des recherches entamées au temps du capitalisme a provoqué une urgence sans précédent : l’heure actuelle est à la survie.
La question de savoir quelle relation l’homme entretient et développe avec la machine est au cœur des recherches menées par Thomas Guillemet dans son exposition « Honda Accor 2000 v6 ». Le travail présenté interroge les éventuels modes d’émancipation face à l’emprise des technologies.
En pénétrant l’espace, le visiteur est happé par la lumière artificielle qui émane des néons. L’acronyme NSFW (Not Safe For Work), tout droit issu de la communauté web, y est marqué au feutre indélébile.
On découvre aux murs des bribes de souvenirs, images capturées sur Chatroulette d’utilisateurs errants derrière leurs écrans. Les cierges allumés à l’honneur de ces reliques contemporaines plongent le spectateur dans une atmosphère religieuse empreinte d’une certaine nostalgie.
Des tapis et des gravures Captchas recouvrent sol et murs pour assurer la sécurité du périmètre. Les captchas désignent une famille de tests informatiques dont la fonction est de discerner l’homme du robot, pour lequel l’usurpation d’identité est usuelle. En guise d’ornements, ni motifs typiques de quelques régions ni mot d’accueil, mais une demande de vérification commune du paysage informatique. Ce contrôle administratif n’est pas sans rappeler celui effectué à la douane puisqu’il se situe entre deux espaces — la galerie et la rue — et restreint l’accès. Les frontières géographiques estompées par la révolution digitale ont donc fait place à un nouveau type de limitation individuelle. Cette zone limitrophe vise non pas à séparer les gens selon leurs origines, mais à distinguer le vivant du mécanique.
Une fois le sas traversé, les murs tapissés de couvertures de survies dévoilent un univers post-apocalyptique.
L’inscription cryptée annonce avec cynisme un survivant : « Steve [Jobs] is OK » ! Nous voilà rassurés…
Un petit autel dédié aux divinités nous permet d’admirer les trésors du passé : amulettes en cires et céramiques à la gloire des GAFA. Les entreprises de la Silicon Valley, initiateurs d’un imaginaire collectif, tenaient visiblement le peuple en haleine. Cette archéologie du futur présente du matériel informatique en tout genre, d’apparat des plus archaïques. Adulés parce qu’ils incarnent la mémoire des générations passées, ces outils désuets témoignent d’une époque révolue. Désormais dénuée de toute utilité, seule une forme brutalement matérielle subsiste. Mais l’objet mort, au processus de décomposition interminable, nous survivra.
Plus loin, des sculptures se dressent dans un paysage végétal post-humain. De la symbiose entre le corps de l’homme et l’automobile résulte des œuvres hybrides pour le moins perturbantes. Les projections vidéo animent les capots de voiture. L’enveloppe corporelle, véritable barrière de protection dont les cellules assurent une régénération continue, est devenue la matière première des machines. Ces dernières, renversant les hiérarchies de pouvoir, se sont émancipées de leur tutelle humaine. L’algorithme des voitures autonomes qui pouvait décider à la place du passager s’il devait ou non mourir est parvenu à ses fins. Si le corps, comme le défend Nietzsche, est fait de pulsions, de désir, d’instinct, et que sans lui, l’âme est inexistante, alors peut-être que dans cette quête corporelle, les transmachinistes parviendront à générer une conscience et tout ce qui en découle.
À proximité, une découpe laser dénommée Stuxnet s’attelle à graver les œuvres. Tout comme son homonyme — un logiciel malveillant découvert en 2010 visant à compromettre le programme nucléaire iranien —, elle sabote le site. Ainsi, le piratage est intégré au processus de création afin de proposer une version alternative des œuvres préexistantes.
À l’étage, une cellule de résistance.
Le skeuomorphisme, dont l’objectif est de rendre l’interface homme-machine rassurante et agréable, consiste à donner l’apparence et le nom d’un objet réel à un élément virtuel. « Mettre » un « document » dans la « corbeille » n’est finalement qu’un amas de lignes de codes. L’oeuvre sonore s’inscrit dans la continuité des recherches de l’artiste relative au skeuomorphisme. Jouée en boucle, une voix féminine divulgue le code source du réseau de neurones développé pour l’installation Body Fail. Les 1 et les 0 s’enchaînent à un rythme cardiaque, entraînant le spectateur au cœur même de l’organisme du système informatique. Ici encore, les hiérarchies sont bousculées puisque ce qui habituellement est dissimulé se retrouve au premier plan, et ce qui devrait être lu se retrouve entendu.
Tout comme l’électricité dont on prend conscience dès lors qu’il y a une panne, le caractère matériel du digital est éclipsé par son omniprésence devenue anodine. La forme tangible de l’outil s’efface derrière l’usage qu’on en fait. Les gravures monotypes présentées sont ainsi réalisées à l’aide d’outils informatiques détournés, de manière à ce que seules leurs formes matérielles soient exploitées. Le clavier fait office de pinceau pour la réalisation de l’oeuvre, c’est une « décadence positive » comme le nomme Thomas Guillemet. En désacralisant l’objet informatique — en dissociant l’objet de sa fonction —, il se réapproprie l’usage de son corps. Les outils tenus de libérer l’homme du travail à la chaîne ont fini par l’astreindre à répéter les mêmes mouvements.
Alors que l’utilisateur se laisse choir derrière son écran, limitant l’usage de ses membres, l’artiste réintègre dans son processus de création les formes de productions ancestrales issues du corps.
Alors que l’utilisateur se laisse choir derrière son écran, limitant l’usage de ses membres, l’artiste réintègre dans son processus de création les formes de productions ancestrales issues du corps.
Dans la dernière salle de l’exposition se trouve l’installation Body Fail sous-titrée « Le corps comme limite du code ». Le visiteur est incité à expérimenter des positions pour se soustraire à la vidéosurveillance. En adoptant une gestuelle déviante, en jouant sur l’équilibre/déséquilibre, le symétrique/dissymétrique, l’aligné/désaligné, le focalisé/défocalisé, il pourrait faire buger la machine. Chaque fois qu’un visiteur y parvient, la pose s’ajoute à une partition de mouvements dits défaillants.
Comme si le corps était l’ultime ressource.
Indira Béraud
Événements liés